mercredi 16 juin 2010

Une maison de retraite aux petits oignons

Dans un établissement de Sibiu, au cœur de la Transylvanie, les pensionnaires pratiquent au moins trois langues et autant de religions. Sans la moindre anicroche.


Interculturalité. Ce mot a été tellement utilisé, tellement rabâché en haut lieu, à Bucarest comme à Bruxelles, qu’il s’est pratiquement vidé de son sens. Mais ici, dans la maison de retraite baptisée “Dr Carl Wolff”, à Sibiu, l’interculturalité prend tout son sens. Cette maison est à l’image même de la Transylvanie. On y parle couramment trois langues : le roumain, l’allemand et le hongrois. Le médecin qui supervise les pensionnaires de l’établissement, grand amateur de bon tabac à pipe, s’adresse à chacun d’eux dans sa langue maternelle. Le personnel médical est recruté parmi la population roumaine, magyare et allemande. La chapelle reflète peut-être le mieux l’œcuménisme réel, à dimension humaine, qui est pratiqué ici. Deux choses impressionnent dans cette chapelle : le crucifix récupéré dans une église médiévale saxonne et les quatre calendriers religieux affichés au mur, représentant, par ordre alphabétique, les quatre confessions transylvaniennes : catholique, évangélique, orthodoxe et réformée. Le tableau contenant les noms, numéros de téléphone et de chambre des pensionnaires représente une véritable radiographie culturelle de cette région.
La fin du communisme a permis, au début des années 1990, à la communauté allemande – les Sasi, ou “Saxons” – de Roumanie d’émigrer massivement vers sa patrie d’origine. [Fin 1989, la Roumanie comptait quelque 260 000 Allemands ethniques. En 2002, ils n’étaient plus que 59 764. Les Siebenbürger Sachsen s’étaient établis en Transylvanie vers le xiie siècle. Considérés comme Auslandsdeutsche (Allemands établis à l’étranger) par le gouvernement allemand, ils pouvaient prétendre à la nationalité allemande. L’émigration vers l’Allemagne a commencé bien avant 1989, année de la fin du communisme en Roumanie, mais a ensuite connu un véritable essor.]

Mais qui allait s’occuper des personnes âgées et malades restées en Transylvanie ? Ce choc migratoire a détruit les formes traditionnelles d’entraide des Saxons. “Il est vrai que nous n’avons pas pu prévoir la vitesse à laquelle les choses allaient changer”, explique Ortrun Rhein, la directrice de l’établissement. Face à la faillite de l’Etat roumain, ce sont les autorités de Berlin qui se sont intéressées au sort de ces Allemands ethniques, âgés, malades et souvent isolés. C’est le gouvernement allemand qui a financé la construction de la maison de retraite, placée sous le patronage de l’Eglise évangélique de la confession d’Augsbourg [luthériens, les Saxons de Transylvanie appartiennent majoritairement à cette Eglise ; les protestants magyars de Roumanie sont, eux, majoritairement calvinistes]. L’établissement, créé en 1994, s’inspire des anciennes cités saxonnes. L’harmonie et la tolérance qui y règnent aujourd’hui sont venues peu à peu, au fil du temps, confie sa directrice. “Ayant toujours vécu ensemble, les pensionnaires ont compris qu’ils n’avaient aucun intérêt à se séparer aujourd’hui les uns des autres”, explique-t-elle. Maintenant, pour pouvoir séjourner dans cette maison de retraite, il faut s’inscrire sur une liste d’attente. “La vie dans une maison de retraite peut faire ressurgir les traumas et les souvenirs nostalgiques. Mais, ici, ils n’ont plus à s’inquiéter pour leur avenir, une fois qu’ils acceptent l’idée d’être pris en charge par un personnel compétent”, ajoute-t-elle.

Au troisième étage, la direction de la maison de retraite tient à disposition quelques chambres d’hôtes. L’idée, d’une simplicité et efficacité tout allemande, était déjà dans le projet initial. Les pensionnaires du foyer ont des familles en Allemagne qui viennent leur rendre visite. Puis sont venus quelques touristes, dont certains se sont pris d’affection pour les pensionnaires. Le fait que Sibiu ait été désignée capitale culturelle de l’Europe en 2007 a beaucoup aidé, mais Mme Rhein n’est, en revanche, que moyennement ravie de voir la maison de retraite figurer dans des guides touristiques. “Vous êtes jeunes ; sortez, amusez-vous, profitez maintenant de cette vie qui défile si vite”, lance une pensionnaire âgée de 95 ans croisée dans les couloirs. D’autres racontent, d’une voix tremblante, leur vie : la déportation en URSS, leur travail dans les mines du Donbass, en Ukraine… “Qu’avions-nous fait de mal ? Nous habitions en Transylvanie, nous travaillions nos terres…”, racontent ces vieilles dames allemandes qui se souviennent encore des cris des enfants qui les accompagnaient lors de leur exode : “Fascistes !”

Tous les ans, la direction de la maison de retraite organise un carnaval – le Fasching – juste avant le carême. Les pensionnaires confectionnent des masques, des costumes. Plus personne ne songe à se plaindre de ses bobos, tout le monde devient fébrile. En septembre, c’est la journée portes ouvertes et, à cette occasion, il y a même un bal. L’orchestre ne manque pas de jouer des airs allemands comme Lili Marlene ou Ganz in Weiss. Pour le grand bonheur de tout le monde.


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