mercredi 24 mars 2010

Une histoire peu connue : la revue "Pif" faisait le bonheur de milliers de roumains à l'époque du communisme

La revue „Pif” qui a fait le bonheur de générations d’enfants français a cessé sa parution au début de l’année, son dernier numéro titrant „Pif est mort”. A son heure de gloire, dans les années 70, le journal, doté de son fameux gadjet, tirait à 500 000 exemplaires. Il avait déjà connu une alerte en 1994, disparaissant ders kiosques pour ressusciter en 2004. La revue était très populaire en Roumanie où sa parution était autorisée car elle était éditée par le groupe français Vaillant Presse, d’obédience communiste. „Pif” fut même à une époque la seule revue étrangère autorisée de parution dans le pays... et a servi à apprendre le français à de nombreux Roumains. Elle était même éditée à Craiova, pour des raisons économiques et non idéologiques, pour être ensuite distribuée en France.
L’ensemble de la presse roumaine a salué avec nostalgie la disparition d’une publication qui fut le temps d’une décade le seul lien de la Roumanie avec le monde occidental. Dans l’article ci-dessous „Les Nouvelles de Roumanie”, datant de janvier 2004, avaient rapporté l’histoire singulière de „Pif” et les Roumains.

Du „piston” pour s’abonner

„Tous les jeudis, je guettais le facteur comme l'archange Gabriel. Je savais qu'il allait m'apporter mon Pif… Avec trois mois de retard sur la France, mais çà n'avait pas d'importance. Il fallait que je le lise vite, car les copains l'attendaient". Dodo Nita était un privilégié. Pour s'abonner au seul hebdomadaire de BD étranger mis en vente dans le pays, il fallait du piston : seulement 10 000 exemplaires étaient diffusés en Roumanie, par la poste… et son père était justement postier. Qui plus est, la célèbre revue éditée par les éditions Vaillant, une maison d'édition chapeautée par le Parti communiste français - sans aucun contenu idéologique car il s'agissait avant tout de gagner de l'argent - était imprimée dans sa ville natale, Craiova, par souci d'économie… Déjà la délocalisation et tant pis, s'il s'agissait là d'une entorse aux principes affichés par Georges Marchais et la CGT qui réclamaient alors, haut et fort, le rapatriement en France des travaux faits à l'étranger.
Qu'importe! Depuis l'âge de onze ans, Dodo dévorait chaque semaine son "Pif". Il y avait appris le français. Son premier numéro, le gamin avait mis six heures à le lire, dictionnaire à portée de main. Plus tard, il ne lui faudra plus que vingt minutes. Sa revue avait un côté magique : papier et impression étaient d'une qualité incomparable par rapport aux publications roumaines, elle venait de l'autre côté du "rideau de fer" et avait ce parfum de fruit défendu que représentait la liberté… un cadeau du Parti communiste français ! Quand au fameux gadget qu'elle s'était adjoint et lui avait fait dépasser le seuil du million d'exemplaires, au début des années 70, il lui paraissait comme une innovation inimaginable.
Le succès phénoménal de “Pif”, arrivé en Roumanie en 1967, s'explique aussi par la prééminence du français qui était demeurée la principale langue étrangère apprise dans le pays, en dehors du russe dont l'apprentissage était fortement conseillé, et qui représentait l'aspiration à liberté face à l'oppresseur.

Le délire de Ceausescu et la chute
du Mur de Berlin fatals au personnage

La déception ne fut que plus grande quand le régime Ceausescu sombra dans le délire. Voulant se débarrasser de ses dettes et avoir les mains libres, le dictateur réduisit au minimum les importations qu'il fallait payer en devises, et Pif passa à la trappe, au début des années 80. Il ne réapparaîtra qu'après la "Révolution", pour peu de temps, car la publication cessera en 1992, à la mort de son créateur. Une théorie court d'ailleurs, disant que c'est la chute du "Mur de Berlin" qui lui a été fatale, en lui faisant perdre tous ses lecteurs qu'il avait à l'Est…
Mais la nostalgie de Pif le chien et de son ami Hercule le chat est si grande en Roumanie, qu'il s'agit du seul pays où une réédition de leurs aventures - en langue roumaine - ait été entreprise. Quand aux collectionneurs, il peuvent trouver des piles d'albums dans les "anticariat" ou magasins de vieux livres.

“Minitechnicus” et le paradis communiste

En 1970, le dessinateur franco-espagnol du journal l'Humanité, José Cabrero Arnal, combattant républicain pendant la guerre d'Espagne et rescapé du camp de concentration de Mauthausen, créateur du personnage de Pif en 1945, avait lancé un cours de dessin à l'intention de ses lecteurs roumains. Le succès avait dépassé toutes les espérances: plus de 4000 personnes avaient répondu, ce qui est très rare dans le domaine de la BD. L'initiative avait permis de révéler des talents et vocations et de créer une génération de jeunes dessinateurs, dont quatre ou cinq grands qui publient toujours aujourd'hui.
Arnal, sans-doute sur commande, avait créé un autre personnage, à usage interne roumain: Minitechnicus . Ce petit robot, plein de pouvoirs, dont les magazines pour jeunes, à la lecture encouragée par les enseignants, rapportaient les aventures, représentait l'idéal de la société communiste. On y faisait miroiter aux enfants la vie paradisiaque qui les attendait : pleine de robots qui effectueraient les tâches ménagères dans la maison, on ne travaillerait plus que trois heures par jour, on irait au travail dans son avion…
Plus tard, alors que les lecteurs de "Pif" auront grandi, ce rêve sera remplacé par un autre. Dans les années 80, sur les bancs de l'Université, on enseigna "l'euro-communisme". François Mitterrand avait remporté les élections en France, Felipe Gonzalès en Espagne, Mario Soares, au Portugal, Helmut Schmidt était au pouvoir en RFA, Olof Palme en Suède, Bettino Craxi allait y accéder en Italie, Georges Papandréou en Grèce… Tous ces "euro-socialistes" étaient présentés comme l'avant-garde d'une marche en avant inéluctable vers le "socialisme scientifique" et l'établissement d'une société euro-communiste. "Chouette" se disaient les étudiants roumains qui se voyaient déjà se promenant à Paris, Rome ou Madrid, le "rideau de fer" n'ayant plus de justification, puisque leur idéologie l’avait emporté !

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